Fonction publique : lorsque l’État se désengage

Les réformes de la fonction publique se succèdent avec toujours la même obsession : réduire les coûts et organiser, au plus vite, le transfert des missions de l’État vers le secteur privé. Une note mise à disposition des participants revient ainsi sur le sort fait aux services publics et à leur nécessaire défense. On y apprend que, contrairement aux idées reçues, la France ne dispose pas d’une fonction publique pléthorique : elle se situe au 9e rang européen du classement du nombre d’agents pour 100 habitants, au 13e rang au regard de sa population active. Alors que la France reste obsédée par le montant de son déficit public pour lutter contre la crise, les États-Unis ne se sont pas préoccupés des dérives possibles de leur déficit public. Bien au contraire : en 2009 et 2010, ils ont accepté de le porter jusqu’à 13 % du Pib.

Le prix de ces choix est lourd, ainsi que le souligne d’entrée Michèle Kauffer, secrétaire nationale de l’Ugict et membre de la commission exécutive Ufict des Services publics : « des dizaines de milliers d’emplois ont déjà été passés à la trappe à coups de fusions et de réorganisations » et le programme Action publique 2022 va encore aggraver les choses. Quelque 120 000 nouvelles suppressions de postes sont annoncées d’ici 2022 et, avec elles, une réduction annoncée des dépenses de fonctionnement de 13 milliards d’euros ; la qualité des services est menacée, les conditions de travail et le statut des agents aussi.

Une éthique mise à mal

Cette situation a des retombées concrètes, supportées tant par les agents que par les usagers. Yves Richez, directeur d’hôpital et animateur du collectif des directeurs de l’Ufmict-Cgt, en témoigne dès l’ouverture de la première table ronde consacrée aux « réformes et à leurs conséquences pour l’encadrement et pour les administrés ». Il rappelle ainsi que jamais, depuis soixante ans, l’espérance de vie des Français n’avait reculé.

Or, en 2015, elle a baissé de 0,3 an pour les hommes et de 0,4 an pour les femmes. Il en attribue les raisons aux réductions massives d’emploi et d’investissement dans la santé. Il note que l’absentéisme a crû au même rythme et que la souffrance au travail s’est aggravée. « Le tournant ambulatoire a eu des effets catastrophiques, explique-t-il. Il a signifié bien plus que la suppression chaque année de 16 000 lits et la disparition de 22 000 emplois prévus par le gouvernement sur les trois dernières années. Cette évolution a radicalement transformé le processus de production de soins, résumant ceux-ci désormais à des actes techniques qu’il convient de normaliser au maximum afin d’optimiser les temps de travail, de prise en charge, et la consommation de matériel et de produits. »

Hélène Guerra, secrétaire nationale de la Cgt-Finances publiques (activité cadres), offre une autre illustration des effets délétères des politiques de réduction de la dépense publique. Malgré le peu d’appétence des administrés pour fréquenter les agents des impôts, plaisante-t‑elle, toutes les enquêtes montrent que le travail des agents est apprécié du public : « Et pourtant, chez nous aussi les effectifs ont chuté. Et la qualité des services rendus en pâtit. Les services de proximité vont en être fortement affectés, l’accès de tous aux informations, aux renseignements et au conseil plus encore. Quel accompagnement de tous dans un monde numérique toujours plus impénétrable ? »

Comme Yves Richez, Hélène Guerra s’arrête sur les effets dévastateurs pour l’encadrement des réformes successives imposées à la fonction publique. Sommés de se faire les promoteurs de réformes qui entament chaque jour un peu plus le sens qu’ils peuvent donner à leur travail, enjoints d’abandonner l’animation des équipes pour s’adonner à des tâches de contrôle et de reporting, les cadres subissent depuis plusieurs années maintenant une pression redoublée. Un stress qui engendre, chaque jour un peu plus, une dégradation de leurs conditions de travail, indiquent l’un et l’autre. Maillons essentiels de la réussite de la transformation, non seulement ils ne sont pas associés aux orientations, mais ils ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour agir. Un sentiment conforté par les résultats du baromètre Viavoice cité quelques minutes plus tôt par Michèle Kauffer, selon lequel 57,7 % des cadres de la fonction publique estiment leur éthique professionnelle mise à mal par les transformations à l’œuvre.

Les consommateurs à la rescousse : jusqu’où ?

Dans ce cadre, que peut le syndicalisme ? Quelle stratégie peut-il développer pour défendre aussi bien le statut et la vie au travail des agents que le vivre-ensemble de toute une société ? Les intervenants abordent cette question en privilégiant une entrée de solidarité. Chez les salariés avec une plus grande syndicalisation, un effort redoublé pour « éviter le repli sur soi et préserver les collectifs de travail ». Avec les usagers, également. Les interventions de Jean-Jacques Neyhouser salarié à la Dgccrf 1 et militant à l’Indecosa, et Stephen Kerckhove, délégué général de l’Ong Agir pour l’environnement, sont décapantes.

Le premier dénonce le piège tendu aux consommateurs, qui consiste à les transformer en agents de leur propre protection. Car, non contente de confier au privé de plus en plus de missions de contrôle des productions et des aliments, la Dgccrf (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a décidé de créer une start-up. Mission : développer une application chargée de faire l’interface entre les consommateurs et les autorités. Un outil qui, sur intervention des usagers, servirait à prévenir les services de l’État des craintes sur la qualité des produits. « Comment imaginer, demande-t-il, que les consommateurs auront le temps et les moyens de réaliser des tâches jusque-là confiées à des services entiers constitués de professionnels aguerris ? »

Cette inquiétude, Stephen Kerckhove la reprend en s’appuyant sa propre expérience : celle d’un défenseur des « acteurs absents : climat, forêts et océans. Des acteurs qui n’ont pas la faculté de se faire entendre, et dont l’État voudrait faire croire que leur avenir pourrait être assuré par la seule mobilisation des citoyens ». Si les citoyens ont un rôle à jouer, ils n’ont ni les moyens ni la puissance d’agir des services publics, défend le militant : « Ils ne peuvent être garants, à eux seuls, de l’intérêt général. » La défense du climat et de la biodiversité, comme celle de la santé, de l’éducation et du vivre-ensemble, conclut-il alors, ne souffre pas un « État-spectateur. Elle a besoin d’un État acteur ».

Martine Hassoun

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